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<strong>Une petite gêne</strong>

Une petite gêne

Publié le 29/01/2014

L’étymologie de son prénom, bien née, ne convient-elle pas parfaitement à Eugénie Bouchard, celle qui a conquis les cœurs et capté l’attention de la planète tennis la semaine dernière dans cette lointaine et torride Australie? Son nom est maintenant sur toutes les lèvres, non seulement du moindre amateur de tennis, mais aussi de plusieurs lointains observateurs de la scène sportive. Gageons que les Tout le monde en parle et autres émissions du genre s’empresseront de nous la présenter sous toutes ses coutures dès son retour en sol québécois.

On ne tarit pas d’éloges à son endroit et ils ne viennent pas de n’importe qui. Martina Navratilova, dont le seul nom évoque une kyrielle de championnats du Grand Chelem, lui prédisait, dès Wimbledon l’été dernier, un avenir intéressant: «Vous n’avez pas fini d’entendre ce nom», avait‑elle alors déclaré. Et elle ne s’est pas gênée pour répéter ces propos et d’en rajouter en Australie. Alors que la première Canadienne depuis 1984, et sûrement la première Québécoise de l’histoire du tennis, à avoir atteint une demi-finale d’un tournoi du Grand Chelem, quittait le court après son élimination contre Li Na. Chris Evert, une autre grande dame et championne, a eu ces mots sur les ondes de TSN: «Vous venez de voir à l’œuvre l’avenir du tennis.»

Eugénie Bouchard a tout pour elle; elle paraît bien, elle s’exprime bien dans les deux langues de notre beau grand pays et surtout, elle joue bien. Quand je dis qu’elle paraît bien, je ne parle pas que de son physique; celui‑là est évident. Je parle aussi de sa prestance et de son attitude sur le court, deux qualités que n’ont également pas manqué de souligner Navratilova et Evert. Quant à sa façon de s’exprimer, elle le fait dans la langue de Molière avec un charmant accent anglais, impeccablement dans la langue de Shakespeare, mais aussi avec un humour timide assez plaisant à entendre. Quant à son jeu sur le court, il est difficile d’en demander plus à une jeune femme de 19 ans qui est passée du 538e rang en 2010 au 32e rang à la fin de 2013. Sa performance à Melbourne la placera aujourd’hui parmi les 20 meilleures raquettes féminines au monde.

La petite gêne qu’il nous faudra garder sera d’éviter de trop en demander de cette prometteuse tenniswoman. Certes, ses statistiques sont étincelantes, certes, elle satisfait tous les critères pour devenir une championne pour autant qu’elle continue d’y mettre travail et acharnement. Mais ceux qui ont vu la demi-finale contre Li Na ont constaté qu’il lui reste beaucoup de chemin à faire pour rejoindre les Navratilova et Evert. Li Na n’a pas seulement battu Eugénie Bouchard; elle l’a mystifiée et déstabilisée avec des coups d’une puissance que seules celles qui ont accédé à ce palier supérieur possèdent. Li Na a 32 ans, Bouchard 19. Un vétéran des courts de tennis au niveau international me disait son admiration pour la jeune Eugénie en prenant toutefois bien soin de me souligner certaines faiblesses de son jeu que les vétéranes du circuit auront eu vite fait de percer au fil des prochains tournois.

Comprenez‑moi bien! Je partage l’enthousiasme général et je n’aimerais rien de mieux que de voir un jour Eugénie Bouchard triompher en Australie, à Roland-Garros, à Wimbledon ou à Flushing Meadows. Je dis tout simplement que, connaissant notre propension à organiser des défilés de la coupe Stanley en novembre, nous devrions peut‑être nous garder une petite gêne avant de proclamer Eugénie Bouchard à la royauté des courts et nous contenter de la voir progresser.