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<strong>Un dernier 19e trou</strong>

Un dernier 19e trou

Publié le 15/10/2013

Sous un inhabituel soleil radieux de cette mi‑octobre, la ronde est terminée. Les uns, en voiturette, rapportent directement leur sac de golf à la voiture ou au camion. Les autres commandent déjà à Diane ou Manon leur dernier deux pour un au bar du resto 9½. Cartes de pointage sur table, on départage les gagnants des skins et ceux qui ont placé leur balle le plus près du fanion sur les normales 3. La bière, les taquineries d’usage, la bière, les comment et pourquoi du pointage final, la bière, les saluts, la bière et les au revoir, pour une dernière fois. Les uns seront l’an prochain à Lorraine, les autres à Lachute, Mirabel ou ailleurs.

Le Club de golf Deux-Montagnes a fermé ses allées et verts le week‑end dernier. Son aire de pratique avait déjà mis fin à ses activités à la fin septembre. Après près de trente années d’existence, ce terrain de golf dont le nom a été intimement lié à celui de Saint-Eustache sera converti en prolongement de parc industriel et en développement domiciliaire. Comme golfeur et résidant de Saint-Eustache, j’en suis profondément triste. Ne dit‑on pas des parcs et des espaces verts qu’ils sont les poumons des villes? Ce n’est vraiment pas mon intention de faire de la politique. Les instances municipales, les chambres de commerce et les développeurs sont toutefois convaincus, grand bien leur fasse, qu’il s’agit là de la solution idéale pour le plus grand épanouissement de la communauté. Je veux bien, mais ne nous emballons pas; seul l’avenir le dira. Et lorsque l’avenir viendra parler, ceux et celles qui auront décidé du sort du club de golf ne seront plus là pour recevoir hommages ou opprobres.

Être propriétaire d’un club de golf n’est pas une vocation, c’est un business. Et le business du golf, par le temps qui court, ne va pas bien. Le golf est en effet une industrie en perte de vitesse; les clubs privés peinent à garder leurs membres, la prolifération des clubs publics a surpassé la demande et les générations X, Y ou autres semblent peu ou prou intéressées par ce sport. Compte tenu de la concurrence et des coûts d’exploitation grandissants jumelés à des tarifs de jeu inférieurs à ceux des années 1980, faut‑il blâmer la famille Cadieux d’avoir accepté l’offre de la Ville de Saint-Eustache? Si le 19e trou final est pénible au simple golfeur que je suis, en est‑il parmi vous pour penser qu’il l’est moins pour les Claude, Lise et Richard Cadieux? Certains diront, probablement avec un sourire narquois, que 13 et quelques millions devraient suffire à sécher les larmes. Pardonnez ma naïveté, mais je ne crois pas que l’argent seul permet de simplement tourner la page sur 30 ans de vie, passés à dessiner, améliorer et entretenir un terrain de golf qui fait votre fierté et celle de votre famille. Ceux qui les connaissent bien savent exactement ce dont je parle.

Oui, j’ai de la peine de perdre mon terrain de golf, à cinq minutes et trois kilomètres de chez moi. Oui, j’ai de la peine de perdre une partie de mes copains qui ont choisi d’aller ailleurs. Oui, je vais m’ennuyer de ces conversations inutiles avec mon ami Réal et des saluts amicaux de Claude. Mais je et nous tous d’ailleurs allons nous en remettre. Si on le fait avec la perte d’êtres chers, on va bien le faire avec un terrain de golf, non? Sur ce, je vous laisse ruminer ces paroles du bon vieux et trépassé Léo Ferré: «Avec le temps… Avec le temps, va, tout s’en va. On oublie le visage et l’on oublie la voix.»