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<strong>La quête de l’extrême</strong>

La quête de l’extrême

Publié le 25/01/2012

«Citius, altius, fortius», plus vite, plus haut, plus fort, la devise olympique. Est-ce à la poursuite de cet idéal qu’il y a un peu moins d’une semaine, la skieuse acrobatique Sarah Burke est décédée à 29 ans? Elle pratiquait un sport dangereux «aux figures toujours plus risquées sur des parcours toujours plus exigeants», un sport qu’elle avait choisi et aimait malgré tous les risques qu’il comporte.

La grande vedette du hockey de la LNH et, pour certains au monde, Sydney Crosby, 24 ans, est sur la touche depuis maintenant plus d’un an. Victime d’une sévère commotion cérébrale, on ignore à ce moment-ci s’il sera un jour de retour et si oui, dans quel état. Crosby pratique un sport où les joueurs sont de plus en plus gros et de plus en plus rapides sur des patinoires aux dimensions qui ne correspondent plus au format de ceux qui le pratiquent. «J’espère que personne qui ait songé à faire carrière dans le hockey n’a cru qu’il ne serait jamais frappé», proclamait bêtement un ex-dur de la LNH (dont je n’ai heureusement pas saisi le nom) sur les ondes de TSN.

Au cours des quarante dernières années, le sport est devenu un bien de consommation rentable. Rentable pour ses propriétaires et rentable pour ses protagonistes. Les proprios engrangent des milliards en recettes au stade et en droits de télévision et les joueurs récoltent le pactole à coup de contrats à long terme pour des dizaines de millions. Quant aux acheteurs, les amateurs, ils paient le prix fort et en exigent pour leur argent. Intensité, rapidité et rudesse accrues doivent être au menu et, comme le ketchup sur les frites, avec charges spectaculaires arrosées d’un peu de sang et de commotions pour couronner le tout. La technologie a amélioré les équipements pour les rendre plus performants et les athlètes bénéficient de méthodes d’entraînement supérieures à leurs prédécesseurs. Leur condition physique en est par le fait même améliorée, aidée aussi de ce qu’un de mes amis athlètes appelle chastement «suppléments», qui deviennent carrément des drogues illicites à un autre niveau. On a d’ailleurs vu l’été dernier où l’utilisation de ces drogues et suppléments a mené trois durs à cuire de la LNH.

Bien sûr que tous ces sports de contact et de vitesse ne sont pas à l’abri de funestes accidents. Mais n’y aurait-il pas des moyens de minimiser les risques et est-ce que cette absence de risque minerait notre intérêt pour ces sports? Des patinoires aux dimensions olympiques, le rétablissement de la ligne rouge, le déblaiement automatique et la suppression des bagarres ne rendraient-ils pas le hockey à ses joueurs de talent? Vous déserteriez le hockey parce qu’il n’y a plus de bagarres ni de charges barbares dont la seule intention est de blesser? Regardez-vous les Grands Prix dans le seul but de voir un accident spectaculaire avec blessés ou mieux encore, des morts? Les descentes de ski perdraient tout intérêt à moins d’une chute spectaculaire et d’une intervention d’un hélicoptère pour transporter le blessé? Paieriez-vous le gros prix pour voir des boxeurs casqués comme aux Olympiques et qui n’arboraient pas un œil tuméfié ou une sanglante coupure à l’arcade sourcilière?

Dans ce siècle de plus, plus et encore plus, il faudra peut-être un jour se demander où tout cela nous mène. Les athlètes, par appât du gain, vont-ils continuer à hypothéquer leur intégrité physique et mentale? Et nous, qui paradoxalement décrions la violence et l’intimidation dans nos cours d’école, allons-nous continuer à nous montrer de plus en plus exigeants? La quête de l’excellence, c’est bien, mais il serait temps que chacun songe à s’imposer des limites.