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Un pont Maurice-Richard, vraiment?

Un pont Maurice-Richard, vraiment?

Publié le 04/11/2014

 Le 17 mars 1955, j’avais 8 ans. Ce soir-là, mon père assistait à un match de hockey contre les Red Wings, ce match qui se déroulait dans des circonstances explosives puisque le président Clarence Campbell avait suspendu le Rocket pour toutes les séries parce qu’il avait frappé un juge de lignes au tout dernier match de la saison régulière à Boston. Nous suivions la partie à la radio; mon frère et moi nous braillions comme des veaux alors que le commentateur disait qu’une bombe lacrymogène avait explosé au Forum. Ma mère nous avait vite rassurés en nous disant qu’une telle bombe ne tuait personne. J’ai aussi vécu cette époque où dans la cour d’école, pour une carte de Maurice Richard tu devais donner un Ken Mosdell, un Léo Boivin et un Doug Harvey. Du trois pour un, quand tu trouvais un copain assez naïf pour faire l’échange.

J’avais 13 ans en septembre 1960, quand à 38 ans, le numéro 9 a annoncé qu’il accrochait ses patins. Je me souviens avoir entendu dire à cette époque qu’il «était trop gras et trop vieux pour suivre les jeunes.» Ce n’est donc pas d’hier que les partisans de la Flanelle sont durs envers leurs héros. Au décès de Richard en 2000, plus de 100 000 Québécois ont défilé devant la tombe de celui que certains ont décrit comme une bougie d’allumage de la Révolution tranquille. Je n’en étais pas, mais pour tous les ti-culs de ma génération, ses 626 buts, le feu dans ses yeux, sa fougue et sa détermination étaient et sont longtemps restés une source d’inspiration. Et pourtant…

Et pourtant, je suis en total désaccord avec cette idée de renommer Maurice-Richard ce nouveau pont Champlain, déjà impopulaire puisqu’on tient mordicus à ce qu’il soit payant. Le ministre Lebel, ministre de plusieurs choses, dont l’Infrastructure, a indiqué que le nom du grand Maurice s’était démarqué parmi les suggestions pour la nouvelle infrastructure qui remplacera le brinquebalant et vétuste pont Champlain. «Les gens nous disent que c’est un digne représentant du Québec, qui faisait l’unanimité.» Qui ça les gens? Un sondage mené à la sortie d’un match de hockey au Centre Bell ou chez les adorateurs de Ron Fournier? À la décharge du ministre, à son cabinet comme à celui du premier ministre Harper, on dit du bout des lèvres que «aucune décision n’a été prise à cet égard.» Je vais laisser aux historiens et aux experts toponymiques le soin de discuter des mérites respectifs du fondateur de Québec et du plus spectaculaire joueur à avoir porté l’uniforme tricolore.

J’ai lu par contre que la famille Richard a déjà indiqué qu’elle ne voudrait pas que le nom de leur père soit sujet de controverse. Malheureusement, c’est déjà le cas. Les Richard, Maurice, Henri et leurs descendants, n’ont jamais été friands ni de publicité ni d’honneurs. Au lendemain de l’émeute de 1955, Maurice Richard ne comprenait pas comment sa suspension avait pu provoquer une telle réaction et il avait accepté de parler à la radio de CKAC pour implorer le public de garder le calme. En 1996, acclamé à n’en plus finir à la fermeture du Forum, il avait dit: «J’ai bien aimé les applaudissements, mais qu’est-ce qu’ils applaudissaient au juste?»

Quant à moi, si on veut honorer le nom de Maurice Richard, qu’on le fasse donc en rebaptisant en son nom le Centre Bell. Malheureusement, on voit mal comment un riche commanditaire consentira à renoncer à sa publicité tout comme il est difficile d’empêcher la classe politique de tirer avantage de la popularité d’un héros, surtout en année électorale. Puisque semble-t-il aucune décision n’a été prise, pourquoi justement ne pas consulter la famille Richard?