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<strong>La réunion autour du texte</strong>

Quelques-uns des membres de l’équipe de conception: Olivier Gaudet-Savard (environnement sonore), Élizabeth Girard (costumes) et Martine Richard (assistante à la mise en scène). Devant: Sylvain Bélanger, metteur en scène de la comédie Les Orphelins de Madrid, actuellement à l’affiche au Petit Théâtre du Nord.

La réunion autour du texte

Publié le 26/06/2012

Citons le metteur André Brassard qui affirmait, un jour, à peu près ceci: «Vous auriez beau me donner le plus grand chef-d’œuvre à avoir été écrit, si je prends le texte et que je le dépose sur une scène, il ne se passera rien.» Or, si le texte n’est pas tout, d’aucuns reconnaissent que tout est dans le texte.

C’est le consensus qui se dégage autour de la table, au moment où nous rencontrons, entre deux répétitions, le metteur en scène Sylvain Bélanger, son assistante, Martine Richard, de même qu’Élizabeth Girard, conceptrice des costumes pour la production Les Orphelins de Madrid, de Sarah Berthiaume, présentement à l’affiche au Petit Théâtre du Nord (PTDN). Olivier Gaudet-Savard, concepteur de l’environnement sonore, alors occupé à résoudre un pépin technique, ne se joindra finalement pas à la conversation.

N’empêche, nous sommes là pour discuter de la mise en forme d’un projet théâtral, une fois qu’on dispose d’un texte que l’on souhaite transformer en un évènement scénique, une performance artistique présentée devant un public qui, idéalement, acceptera d’y croire, sera touché par l’histoire, les personnages et l’environnement qu’on aura créé de toutes pièces pour lui.

Le metteur en scène arrive en amont du processus. Dans le cas qui nous préoccupe, Sylvain Bélanger s’est offert plusieurs lectures de la pièce avant de rencontrer les acteurs pour leur faire part de sa vision globale de la chose. Dès lors, le travail démarre. Il importe d’entendre comment les répliques sonnent dans la bouche des acteurs et de convier rapidement l’équipe des concepteurs à ce que le metteur en scène appelle une réunion autour d’un auteur. «Le vrai boss, c’est le texte», répète-t-il comme un leitmotiv. Le texte sera le référent principal, le substrat, le phare. Le metteur en scène devient alors le gardien de la vision initiale et veille à ce que l’on garde le cap.

Le décor, la lumière, le son, les costumes

Rapidement, il faut savoir dans quel type d’espace se déroulera l’action, de sorte que, de tous les concepteurs, c’est le scénographe (en l’occurrence Jonas Veroff Bouchard) qu’on sollicitera en tout premier lieu. Celui-ci accepte la proposition du metteur en scène qui souhaite travailler dans un espace bi-frontal, c’est-à-dire une scène centrale assortie de deux sections d’estrades qui se feront face.

Le scénographe aura donc quelques jours pour concevoir son décor, d’abord en y allant d’esquisses qui, au fil des discussions avec le metteur en scène, mèneront à la confection de la maquette qui montre les ruines du fameux restaurant Le Madrid, lieu principal de la pièce. Dès lors, en salle de répétition, on peut installer la «plantation», c’est-à-dire marquer les repères délimitant la superficie du décor et créer les volumes que les acteurs devront contourner ou encore sur lesquels on pourra grimper et s’asseoir. Le décor devient un objet, un accessoire qu’il faut utiliser au maximum.

La confection de la maquette est un premier outil pour le concepteur des éclairages (Jérémie Boucher) qui, après avoir expérimenté des effets à l’ordinateur et couché sa conception sur papier, travaillera surtout en salle. Son mandat sera de suggérer ou de souligner les différentes atmosphères dans lesquelles baignera la pièce. Son expertise lui permettra de déterminer les zones à éclairer, avec quelle intensité, quelles couleurs, à quel moment, toujours en se mettant au service du texte et de l’évolution de l’action. Dans un décor bi-frontal, qui apporte cette contrainte particulière que le public voit le public, il aura parfois à créer, au besoin, un mur de lumière qui permettra d’isoler un personnage.

L’environnement sonore est un autre élément essentiel à la production théâtrale. Tout comme l’éclairagiste, le concepteur (Olivier Gaudet-Simard), une fois réglée la question des incontournables (bruits de démolition et autres sons ambiants), devra travailler à créer les atmosphères et les ambiances, par une musique, une chanson (oui, on entendra du Normand L’Amour!) ou tout autre élément sonore. De la même manière, il lui faudra assurer le bon dosage (agir quand c’est absolument nécessaire) et harmoniser ses interventions avec la pulsation globale du spectacle.

Le travail de la conceptrice des costumes, Élizabeth Girard, commence dès la lecture du texte, qui donne une foule d’informations sur le caractère et l’âge des personnages, le monde qu’ils habitent, l’époque dans laquelle ils vivent, ce qu’ils font dans la vie, etc. Dans le cas qui nous concerne, nous sommes au cœur du Québec, en 2011, ce qui ne règle évidemment pas tout: «Le costume doit refléter la personnalité du personnage, représenter ce qu’il est à l’intérieur», dit-elle.

Une fois que le texte a parlé, la conceptrice doit par la suite observer ce que les acteurs en font. La voix, l’intonation, la manière de bouger seront alors autant d’éléments qui alimenteront sa réflexion et la guideront dans la réalisation de ses premiers dessins, jusqu’à la confection finale.

Guider sans diriger

Les concepteurs sont des spécialistes qui, grâce à leur formation, ont aussi une culture générale du théâtre qui leur permet de travailler en collégialité, un terme qui revient souvent dans la bouche de Sylvain Bélanger.

C’est un travail d’équipe qui nécessite un engagement personnel qui ne doit jamais faire défaut. «C’est une réunion de passionnés», résume le metteur en scène qui, dès lors, doit éviter de se poser en patron, mais davantage en maître d’œuvre.

Vrai, le metteur en scène arrive avec une certaine avance sur les autres. Il aura été le premier lecteur, il se sera fait une idée globale du spectacle à produire, aura même déterminé certaines orientations bien précises (ici, le décor bi-frontal), il n’en demeure pas moins qu’on ne fait pas appel à autant de spécialistes pour imposer bêtement ses idées. «Il faut profiter du collectif, laisser parler, ne pas être trop directif. En fait, il faut guider sans diriger, exprime Sylvain Bélanger. Il faut faire confiance aux autres et se faire confiance. Un metteur en scène insécure peut devenir castrant.»

Soulignons qu’une production théâtrale, avant les représentations, nécessite à peu près deux mois de préparation, immédiatement après la première lecture regroupant les comédiens et les membres de l’équipe. Tout juste avant, le metteur en scène aura mis une quarantaine d’heures à lire, comprendre, questionner et décoder le texte. Les comédiens, selon les règles de l’UDA, consacreront 110 heures aux répétitions, en plus d’une trentaine d’heures (parfois jusqu’à 40) en atelier de préparation.

Tout au long du processus, les concepteurs seront sur place pour répondre aux impératifs de la production, apporter des modifications au besoin, réparer, recoudre, brancher, débrancher, retoucher, si l’on ne dispose pas de techniciens en tout temps. Tout ce beau monde travaille sous l’œil attentif de la directrice de production (Emmanuelle Nappert) qui doit orchestrer toutes les opérations, fabriquer les horaires, tenir les cordons de la bourse, discuter de ce qui est faisable ou non et s’assurer que le technique et l’artistique puissent marcher main dans la main.

Enfin, le public!

Le metteur en scène, de son côté, aura dû veiller à ce que l’ensemble demeure artistiquement cohérent et, surtout, s’être assuré que cette troupe d’individus talentueux, passionnés et émotifs ne soit jamais éloignée de la vision initiale, ce qui nous ramène invariablement au texte.

«Dans ce cas, de dire Sylvain Bélanger, j’ai été marqué dès le départ par l’humanité des personnages. La mise en scène, la direction des acteurs, tout doit être fait en ce sens. Il faut y croire en tout temps, donc il aura fallu enlever tout ce qui se trouvait dans le chemin.»

Tous ses efforts convergent évidemment vers l’exercice public, le contact avec «l’élément manquant», une étape qui aura forcément une influence sur l’évolution du spectacle. Mais ça, ce sera pour la prochaine fois.