logo journal leveil
icon journal
featuredImage

Photo Claude Desjardins

Yvon Dubeau, à proximité de la plaque commémorative érigée à l’entrée du cimetière des Patriotes.

GalleryImage1

Photo Benoît Bilodeau

Le nom de Pierre Dubeau apparaît sur la plaque avec la mention «32 ans».

GalleryImage2

Photo Claude Desjardins

Yvon Dubeau devant l’église où son ancêtre Pierre Dubeau est mort les armes à la main, le 14 décembre 1837.

Les trois âges du Patriote Dubeau

Publié le 25/12/2018

Au nombre des Patriotes qui ont perdu la vie, le 14 décembre 1837, lors de la bataille de Saint-Eustache qui a connu cette issue tragique que l’on sait, à l’intérieur et autour de l’église bombardée par les troupes anglaises, se trouvait Pierre Dubeau, 24 ans, époux de Marie-Olive Ouimette, tous deux parents d’un bambin de neuf mois, lui aussi prénommé Pierre. Attendez: Pierre Dubeau n’avait-il pas plutôt 28 ans? Ou 32 ans?

Le promeneur avisé qui s’arrêtera devant la plaque commémorative située entre le presbytère et l’église de Saint-Eustache aura tôt fait de trouver ce qu’il croira être la bonne réponse: 32 ans. Mais ne vous y fiez pas, cette méprise résolument gravée dans le granit et dans certains documents de l’époque, a traversé le XXe siècle et semble vouloir s’installer à demeure, à moins que Yvon Dubeau, descendant direct de Pierre Dubeau, ne parvienne à ses fins et que l’on finisse par corriger ce qu’il désigne avec humour comme une erreur «monumentale» .

Pas seulement une question d’âge

Résidant de Rosemère et ancien professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx, Yvon Dubeau, aujourd’hui à la retraite, se passionne pour la recherche, lui qui est d’ailleurs membre de la Société de généalogie et d’histoire de Saint-Eustache (SGHSE). Ça tombe bien, puisque son nouveau dada lui aura permis, avec les bons outils, d’établir rapidement et avec certitude que son ancêtre (Pierre Dubeau était le grand-père de son grand-père) était bel et bien mort à 24 ans, même si l’acte de décès rédigé à l’époque par le vicaire F.-X. Desèves lui en donne 28.

Cette histoire a d’ailleurs fait l’objet d’un véritable feuilleton dans La feuille de chêne, publication de la SGHSE, alors que Yvon Dubeau y raconte comment, en retrouvant l’acte de naissance de son ancêtre, il a obtenu la réponse à la question qu’il se posait lui-même, tout en échafaudant sa propre théorie quant à la confusion qui fut à l’origine de cette erreur.

«Ce n’est pas seulement une question d’âge. Il peut aussi y avoir erreur sur la personne» , soumet Yvon Dubeau quand on lui demande de mesurer l’importance de sa requête, lui qui s’est adressé jusqu’ici à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, section Jean-Oliver-Chénier, de même qu’au Conseil du patrimoine culturel du Québec, en 2016. La réponse se fait toujours attendre.

Une ferme en héritage

Mais qui était Pierre Dubeau? Fils de Jacques Dubeau et Marie-Louise Labrosse, cultivateurs de Saint-Eustache, Pierre Dubeau est né le 8 avril 1813. Avant de mourir les armes à la main, il avait obtenu de la part de ses parents (c’était le 24 mai 1835), une terre située sur le rang Fresnière, connue aujourd’hui sous le nom de Ferme M. C. Dubeault, propriété de Michel Dubeault (7génération) qui a deux associés : son épouse Patricia Daoust et son fils Cédrik (8e génération). Spécialisée en grande culture, la ferme comprend également deux divisions : La Magie de la Pomme et Le Bistrot la Dent Sucrée.

Le 1er février 1836, Pierre Dubeau épouse l’Eustachoise Marie-Olive Ouimette, avec qui il aura un garçon prénommé Pierre, le 1er mars 1837. Ce dernier n’avait donc que neuf mois, et sa mère 19 ans, le 14 décembre 1837. Le couple s’était établi sur la terre du rang Fresnière, qu’il cultivait (ou faisait cultiver) tout en y tenant une auberge. On pense même qu’il avait l’intention d’y faire autre chose que de l’agriculture. Quoi qu’il en soit, les années suivant la mort de Pierre Dubeau n’ont pas été de tout repos pour sa veuve et son fils.

Du silence à la lumière

«Il y a une chose dont on ne parle pas souvent, ce sont les conséquences morales et matérielles de la défaite des Patriotes» , exprime Yvon Dubeau avec émotion. Les survivants de Patriotes ont vécu une grande période d’indigence et de honte après les événements de 1837. C’est que les Patriotes ne furent pas célébrés tout de suite comme des héros. Ce fut même le contraire. Ils avaient été condamnés par l’Église parce qu’ils s’étaient révoltés et qu’ils avaient désobéi, rappelle Yvon Dubeau, tout en rappelant que le mouvement n’avait pas forcément fait l’unanimité au moment des événements que l’on sait.

«Aujourd’hui, on est passé du silence à la lumière. Quand j’étais jeune, on ne parlait pas de ça. Je n’ai appris qu’à l’âge de 13 ans que j’avais un ancêtre Patriote. La Ville de Saint-Eustache et les sociétés d’histoire de la région ont fait un travail important pour réhabiliter leur mémoire» , souligne Yvon Dubeau.

Un personnage phare: Marie-Olive

Sur le rang Fresnière, pendant ce temps, une jeune veuve s’escrimait à préserver l’héritage familial. «C’est Marie-Olive Ouimette qui a véritablement tenu le fort» , raconte Yvon Dubeau, signalant qu’elle s’était elle-même occupée de la terre pendant neuf ans (peut-être avec l’aide de sa famille), avant d’épouser Paul Trottier, le 16 février 1846. Le couple aura deux enfants (Hermeline, le 12 juillet 1848, et Paul-Camille, le 18 juin 1854). La ferme demeurera cependant au nom de Marie-Olive et seul Pierre (le fils de Pierre) apparaît dans les registres à titre de copropriétaire.

«Marie-Olive est un personnage-clé dans l’histoire de la ferme. Tout aurait pu finir à la mort de Pierre. Il ne faut pas oublier qu’elle n’avait que 19 ans. On devine alors une femme déterminée, qui a résisté à toutes les difficultés. Elle est morte à la fin du siècle, une fois que tous les problèmes ont été réglés» , raconte Yvon Dubeau, signalant qu’elle et son fils auront dû faire face à d’importantes difficultés financières. «On ne parle pas beaucoup d’elle. Elle n’a pas fait la révolution, mais ce qu’elle a fait, pour l’époque, demeure particulier et admirable» , ajoute M. Dubeau

Son fils Pierre, en fait, est venu bien près de perdre l’héritage familial, et ce sont tout bonnement ses fils (les grands-oncles d’Yvon Dubeau), partis faire fortune en Californie, qui sauveront finalement la mise.

Un mouvement universel

À l’échelle nationale, d’aucuns reconnaissent que, malgré la défaite, les Patriotes ont fait avancer la démocratie au Canada. «Ce n’était pas qu’un mouvement local. C’était un mouvement universel. Dans les Amériques, les gens voulaient avoir plus de poids dans les décisions. Pour ça, il fallait que les gens qui les prenaient, ces décisions, soient redevables devant le peuple. C’est ce qui a fini par arriver» , ajoute Yvon Dubeau.

Ce qu’il aimerait voir se produire, par ailleurs, c’est que l’erreur factuelle concernant son ancêtre soit un jour corrigée, autant sur les plaques commémoratives que dans tout document parlant des Patriotes. «Si ce n’est pas fait, cette erreur continuera d’être répétée de décade en décade, dit-il. Dans ce domaine-là, c’est très difficile à obtenir. C’est le genre de chose qui se retrouve en dessous de la pile. Il n’y a jamais de suivi.»