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Anouk Deschênes: fixer l’objet dans sa forme définitive

Anouk Deschênes: Fixer L’objet Dans Sa Forme Définitive

Anouk Deschênes: fixer l’objet dans sa forme définitive

Publié le 04/09/2018

Elle a le verbe bien abondant, Anouk Deschênes, pour quelqu’un qui, à l’école secondaire, redoutait à ce point les exposés oraux qu’elle parvenait à convaincre ses professeures de la laisser présenter ses sujets via le 7e art. Et elle a eu raison de croire qu’elle pourrait en faire un métier, elle qui a remporté un Iris, au dernier Gala Québec Cinéma, pour sa contribution à Manic, un documentaire fascinant signé Kalina Bertin.

Elle a le verbe bien abondant, Anouk Deschênes, pour quelqu’un qui, à l’école secondaire, redoutait à ce point les exposés oraux qu’elle parvenait à convaincre ses professeures de la laisser présenter ses sujets via le 7e art. Et elle a eu raison de croire qu’elle pourrait en faire un métier, elle qui a remporté un Iris, au dernier Gala Québec Cinéma, pour sa contribution à Manic, un documentaire fascinant signé Kalina Bertin.

Ce trophée, la Thérésienne l’a mérité pour la qualité de son montage, une spécialité qu’elle s’est forgée dès sa prime jeunesse, parce que cet aspect des choses l’intéressait plus que le reste, et qu’elle a peaufinée au collège Lionel-Groulx et à l’UQAM, d’où elle est sortie avec son baccalauréat en 2013.

Travail d’équipe

Non, elle ne rêve pas de réaliser ses propres films, ce qu’elle ne se refuserait pas, évidemment, si elle avait une bonne histoire à raconter, mais ce serait pour une tout autre raison que ce qu’on pourrait imaginer. «Pour comprendre ce que c’est. Pour comprendre ce que vit le réalisateur quand il te donne la souris et qu’il te confie le montage de son film» , exprime-t-elle, une réponse qui cerne bien un aspect de la personnalité d’Anouk Deschênes, qui se présente comme une fille d’équipe, une qualité essentielle dans un domaine où les spécialités doivent forcément converger, au fil d’un exercice où chacun doit prendre la place qui lui revient tout en respectant la vision de celui ou celle qui porte le projet en son nom personnel.

Pour saisir ce que ça représente, sachez que la réalisatrice Kalina Bertin, qui cherchait à reconstituer le passé nébuleux de son père et les liens possibles avec les troubles bipolaires diagnostiqués dans sa famille (Manic réfère au terme anglais désignant cette maladie), s’est engagée dans une recherche qui a duré quatre ans. Au fil de cette quête, elle a rencontré des gens qui avaient connu cet homme et qui lui ont parlé d’un gourou manipulateur qui a eu 15 enfants avec cinq femmes différentes. Cette histoire, qui semble tenir de la fiction, par moment, est pourtant réelle et nous est racontée via les témoignages recueillis par la cinéaste, un casse-tête qui se compose aussi de bouts de films puisés dans les archives familiales.

La troisième écriture

Vous aurez compris que ça fait beaucoup de matériel à visionner et que c’est un véritable travail de moine qui s’est amorcé, en janvier 2014.

«On dit souvent que le montage, c’est la troisième écriture. Il y a d’abord le scénario, ensuite ce qui s’ajoute au moment du tournage, puis le montage, qui est la dernière étape. C’est là que le film émerge, ce qui est d’autant plus vrai dans le cas d’un documentaire» , dit-elle, puisque, contrairement à un film de fiction, le cinéaste ne peut savoir avec exactitude, dès le départ, de quoi son film sera fait. C’est au montage que le récit se construit.

En condensé, chacune (la réalisatrice et la monteuse) émet ses préférences sur le matériel à conserver, on met tout ça dans un entonnoir pour éliminer le trop-plein, on fait des séquences, on conçoit un plan et on se met au travail de peaufinage. Le montage donne sa structure à un film, de même que son rythme. C’est une étape qui n’est pas que technique. «Il y a tellement de possibilités. Il s’agit de déplacer une image ou une séquence pour changer toute la perception. Il y a plein de petites lumières à allumer ici et là pour rendre le récit encore plus intéressant» , image-t-elle, ajoutant que chaque monteur a sa sensibilité et sa signature.

Lui est-il essentiel, alors, d’être touchée par le sujet du film pour faire du bon boulot? «Je dirais que la première chose avec laquelle je tombe en amour, c’est la passion du réalisateur pour son projet. On est happé par ça, même si on ne connaît rien au sujet qui est traité» , dit-elle. Une complicité se développe et, dans le cas précis de Manic, Anouk Deschênes s’est aussi attachée, à distance, avec respect et empathie, aux membres de la famille de Kalina Bertin qui apparaissent dans le film.

Le point final

Fixer l’objet cinématographique dans sa forme définitive, traduire la vision du réalisateur tout en lui suggérant d’autres avenues possibles, pousser l’histoire au maximum, tout cela fait partie du mandat du monteur, qui doit être à l’écoute, aller «là où les personnages l’amènent» , organiser des projections-tests (puisque toute œuvre ne peut exister qu’avec le public)… jusqu’au moment convenu entre tous (et presque redouté) où le film est achevé.

«Ouf!» , réagit spontanément Anouk Deschênes en affichant un air qui en dit long. «Ça pourrait continuer jusqu’à l’infini, poursuit-elle. C’est dur de s’arrêter quand on a travaillé aussi longtemps sur un projet. Mais à un moment donné, on s’aperçoit qu’on fait de moins en moins de modifications. Et puis, il arrive ce moment où on ressent qu’on l’a.»

Depuis Manic, Anouk Deschênes a travaillé sur quelques courts-métrages et des films corporatifs. Elle vient d’être réembauchée par le producteur de Manic, EyeSteelFilm, pour le montage d’un documentaire sur le réalisateur Peter Wintonick. Après? On verra. Telle est la réalité du métier.