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«J’ai l’impression qu’on retire l’enfance de l’enfant» – Johanne April

Photo Mychel Lapointe

«On parle beaucoup de l’enfant comme un produit. Les produits, on étiquette ça, mais on n’étiquette pas des enfants», constate Johanne April.

«J’ai l’impression qu’on retire l’enfance de l’enfant» – Johanne April

Publié le 23/03/2019

«Ces jeunes-là vont chercher à vivre leur enfance toute leur vie. J’ai l’impression qu’on retire l’enfance de l’enfant. Les mesures qu’on apporte là, ce sont des mesures d’anti-développement… Ce n’est pas facile de partir d’une question: oui ou non, l’implantation? Ce n’est pas pour rien que dans les pays scandinaves, ils [les enfants] commencent l’école à 7 ans. Avant, ils ont besoin de comprendre ce monde-là, de le découvrir. Ils ont besoin de manipuler [les choses], d’expérimenter. Ils ont besoin qu’on leur laisse de la place», analyse Johanne April.

«Ces jeunes-là vont chercher à vivre leur enfance toute leur vie. J’ai l’impression qu’on retire l’enfance de l’enfant. Les mesures qu’on apporte là, ce sont des mesures d’anti-développement… Ce n’est pas facile de partir d’une question: oui ou non, l’implantation? Ce n’est pas pour rien que dans les pays scandinaves, ils [http://les enfants] commencent l’école à 7 ans. Avant, ils ont besoin de comprendre ce monde-là, de le découvrir. Ils ont besoin de manipuler [http://les choses], d’expérimenter. Ils ont besoin qu’on leur laisse de la place» , analyse Johanne April.

Mme April, professeure titulaire au département des sciences de l’éducation du Campus de Saint-Jérôme de l’Université du Québec en Outaouais et membre de l’Équipe sur la Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance [http://qualitepetiteenfance.uqam.ca], se garde bien de dire si le projet de maternelle 4 ans que veut implanter le gouvernement Legault est bon ou pas bon.

Elle laisse le soin aux parents de décider.

Ce qui ne l’empêche pas de faire une réflexion sur le sujet. Réflexion qu’elle a partagée avec Infos Laurentides, à son bureau de l’UQO, vendredi matin dernier.

Précisons que Johanne April a participé à un projet de recherche quand Marie Malavoy, alors ministre de l’Éducation dans le gouvernement Marois, a implanté en 2012 la maternelle 4 ans dans des milieux défavorisés.

Des projets-pilotes ont alors été menés dans quelques classes à compter de septembre 2013. Dès lors, Mme April a piloté une recherche longitudinale qui a servi à documenter les conditions d’implantation de la maternelle 4 ans temps plein en milieux défavorisés. Dans ce rôle, elle était sur tous les comités-conseils du ministère sur le sujet. Elle a déposé son rapport en août 2017.

Du temps pour grandir

Premier constat de sa part: «On parle beaucoup de l’enfant comme un produit. Les produits, on étiquette ça, mais on n’étiquette pas des enfants. On en parle beaucoup comme un produit de notre société plutôt que comme un devenir de notre société de demain… Quand le gouvernement va-t-il parler d’éducation, mais de l’éducation de nos jeunes dans une perspective qui n’est pas clinique, qui n’est pas instrumentale et qui n’est pas orthopédagogique? »

«On entend beaucoup parler ces temps-ci de dépistage précoce. On est dans une logique de compensation. On est dans une logique qu’on dirait qu’ils arrivent à 4 ans et qu’ils sont tous en manque. En manque de quoi? Par rapport à quelles normes? »

«Un enfant de 4 ans est en devenir, a besoin de temps pour grandir, des conditions optimales pour apprendre, de jouer, d’être accompagné dans son jeu, de faire des choix, de faire des essais, de faire des erreurs, de s’exprimer, d’exister.»

Parce que, selon elle, «on observe davantage dans les milieux des enfants qui sont soumis, des enfants qui se conforment, des enfants qui sont victimes de stress. Le stress, ça nuit au développement, à la confiance, à l’estime de soi, à la réussite éducative, à la réussite sociale» .

Les conditions

Par ailleurs, avons-nous les conditions nécessaires pour cette implantation de masse des maternelles 4 ans en septembre prochain?

«Présentement, ça repose en grande partie sur les épaules des enseignants. Il y a un grand risque d’essoufflement» , note Mme April.

Qui plus est, «on n’a pas les outils de travail. On n’a pas les outils [http://pour savoir] comment on observe un enfant de 4 ans, comment on l’évalue. La structure organisationnelle n’est pas là… Elle n’est pas adaptée aux besoins d’un enfant de 4 ans. Il faut un local adapté à son besoin, à sa façon d’apprendre. Il a un besoin fondamental de bouger. Si on l’assoit pendant des heures, on ne lui permet pas d’évoluer, de grandir, d’apprendre, de comprendre» .

Les adultes

En outre, prenant manifestement le parti de l’enfant, Johanne April avoue avoir un «découragement» : les adultes…

«L’adulte a peur de quoi pour vouloir tout contrôler comme ça? Un adulte qui ne fait pas confiance aux enfants, c’est un adulte qui n’a pas confiance. J’invite les adultes à aller à la rencontre de ces enfants-là, à les soutenir plutôt que les écraser, les allumer plutôt que les éteindre.»