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La bûche de Noël: une tradition viking

Illustration de Maryse Pepin.

La bûche de Noël: une tradition viking

Publié le 19/12/2014

(NDLR) – Cette année, vos hebdos L'ÉVEIL et LA CONCORDE ont demandé à des auteurs d'ici d'écrire un conte de Noël. Voici donc le troisième de trois, signé Martial Grisé et Maryse Pepin. Auteurs de la série médiévale Seyrawyn, ainsi que de la série jeunesse Les Dragonniers, Martial Grisé, aussi un artisan du cuir, et Maryse Pepin, également designer graphique et illustratrice, sont associés au milieu médiéval depuis de très nombreuses années. Résidants de Saint-Eustache, ceux-ci ont choisi de situer leur conte de Noël écrit à quatre mains là où leurs héros ont l’habitude de parcourir. Il est possible de leur écrire via le [www.seyrawyn.com]. Nous les remercions pour leur texte, ainsi que pour l’illustration.

 

Sur l’île d’Arisan, contrée lointaine colonisée par de fiers hommes du Nord, le soleil du matin éclairait à peine quelques foulées devant. Malgré les impitoyables bourrasques de neige, les quatre aventuriers continuaient courageusement leur ascension sur un des flancs escarpés des Rocheuses d’Ortan.

–– Nous y sommes presque! annonça Grim, qui ouvrait la route pour ses compagnons.

Il bondit ensuite sur une saillie de la paroi rocheuse et disparut presque dans la poudreuse.

–– Marie-Calina, où allons-nous exactement? s’enquit le jeune elfe Arafinway en calant une fois de plus son casque de fourrure sur ses oreilles pointues.

–– Tu devrais poser cette question directement au Jarl d’Alvikingar! répondit l’épouse de Grim en lui tendant la main.

–– C’est pourtant ce que j’ai fait, voilà six jours de cela, rétorqua en grelotant Seyrawyn, le quatrième compagnon. La seule réponse que j’ai obtenue a été: «Patience, nous accomplissons une vieille tradition!»

La jeune femme sourit en reconnaissant l’humour de son époux.

Les Vikings étaient vigoureux et avaient l’habitude des grands froids. Cependant, elle compatissait avec ceux qui venaient de l’Àlfhein, le monde des elfes, car cette bise les glaçait jusqu’aux os.

–– Si Grim dit que nous arrivons, alors il ne nous reste qu’un dernier effort à faire. Allez! les encouragea-t-elle en sautant à son tour sur la corniche.

Voyant que le couple viking entamait une nouvelle escalade, les deux elfes se regardèrent en haussant les épaules et se résignèrent à les suivre de près.

Un peu plus tard, le groupe se faufila dans une crevasse et déboucha sur une petite vallée. Curieusement, les tourbillons de vent y étaient presque inexistants. De plus, le soleil au zénith illuminait les conifères centenaires qui s’élevaient droit vers le ciel. Le lieu dégageait une telle sérénité!

–– Voici un antre secret connu par très peu d’entre nous, annonça le chef avec fierté.

Le petit groupe secoua les capes et les chapeaux enneigés en observant les alentours.

–– Alors, c’est ici que tu te caches une fois l’an depuis ces dix dernières années! s’exclama Marie-Calina, fort surprise.

–– Exact, et je ne me fais accompagner que de trois compagnons afin d’accomplir un devoir envers l’une de nos plus anciennes citoyennes, précisa‑t‑il.

–– C’est bien la première fois que tu mentionnes la présence d’une des nôtres dans un pareil endroit, fit-elle remarquer, de plus en plus intriguée.

Grim sourit mystérieusement. Il retira de son escarcelle une petite sculpture de bois représentant un traîneau viking. Il la déposa sur le sol, puis murmura quelques paroles magiques. Subitement, le jouet se mit à grandir et, au bout de quelques secondes, une grande schlitte utilisée pour transporter du bois se trouva devant le groupe.

–– Oooh! murmurèrent les jeunes.

–– Je ne comprends toujours pas pourquoi nous sommes ici, demanda enfin Arafinway en cessant peu à peu de claquer des dents.

–– Il s’agit d’une vieille tradition de nos ancêtres scandinaves: le Midtvintersblot, soit la célébration du solstice d’hiver. À moins d’une lieue d’ici, une doyenne elfique attend notre arrivée avec impatience, car nous devons lui apporter une bûche de Yule.

–– Une quoi? s’exclama son compagnon elfique.

–– Yule, ou Jol en vieux norrois, désigne l’hiver, expliqua l’épouse du Jarl avec patience, et nous fêterons le nouveau soleil: le Nolo (nouveau en gaulois) Hel (soleil en grec). Ainsi, la bûche devra brûler durant les douze jours les plus courts de l’année, soit jusqu’à ce que la lumière revienne pour de bon.

–– Nous devons trouver un sapin spécial sur lequel les deux corbeaux envoyés par Odin seront perchés. Ou encore l’arbre au-dessus duquel ils se croiseront en vol, ajouta Grim en se remémorant de joyeux souvenirs.

–– Nous sommes donc ici pour aider une vieille dame elfique qui n’est plus en mesure de couper du bois, résuma candidement Seyrawyn.

–– J’ai toujours aimé les bonnes actions! déclara Arafinway. Je vais regarder de ce côté et toi, Seyrawyn, va de l’autre. Le premier qui repère l’arbre qu’il nous faut gagne la partie!

Les deux jeunes s’élancèrent dans des directions opposées.

–– Le froid ne semble plus les incommoder, remarqua Marie-Calina, emmitouflée. Le plaisir du jeu leur a donné des ailes! Grim, ne veux-tu pas y participer aussi?

–– Tu plaisantes! Regarde comme ils courent partout… De toute façon, je dois tirer le traîneau, répliqua‑t‑il en ajustant les sangles sur ses épaules.

–– Alors tire et moi je pousserai! offrit-elle avec entrain.

–– Je l’ai trouvé! Venez par ici! hurla soudainement Arafinway.

Bruyamment, deux énormes corbeaux s’envolèrent au-dessus de la forêt en leur indiquant l’endroit.

En quelques heures et grâce à l’effort de chacun, ils débitèrent l’arbre en plusieurs grandes bûches. La cime du sapin fut attachée au traîneau. Ils suivirent ensuite la piste jusqu’à une petite chaumière presque enterrée sous la tourbe, à la manière des maisons vikings.

Tout autour de son jardin de neige, les voyageurs admirèrent de superbes sculptures de glace représentant divers animaux. Le détail de ces œuvres givrées était digne d’un maître sculpteur.

Brusquement, la porte s’ouvrit et une vieille dame en tunique de laine et aux longs cheveux blancs se tint sur le seuil.

–– Grim, cher ami! Je vois que vous initiez des nouveaux à cette belle tradition, déclara la doyenne d’une voix claire.

–– En effet, dame Cénédrille, dorénavant ceux-ci partageront votre secret, confirma le Jarl.

–– Cénédrille veut dire «glace» en langage elfique, murmura Arafinway à son ami. C’est plutôt excentrique comme prénom…

Chacun se présenta et la vieille dame leur fit signe d’entrer. Les bûches furent entreposées juste à côté de l’âtre éteint. La cime du sapin orna un des coins de la maisonnette. Prestement, Marie-Calina lui ajouta des rubans, des herbes séchées et des fruits confits tirés de sa besace.

–– Mais il fait encore plus froid qu’à l’extérieur! remarqua un des jeunes.

–– J’attendais votre arrivée pour entamer la célébration, expliqua la dame des lieux.

La doyenne elfique sortit quelques éclisses de bois de la bûche de Yule de l’année précédente et les déposa sous les rondins que Grim venait de placer dans le foyer. Cénédrille invoqua sa magie sous le regard attentif de ses invités.

–– Drafin leutha naur!

Les morceaux de bois prirent feu immédiatement et la grosse bûche de Yule, ornée elle aussi de feuillages et de quelques rubans, commença à crépiter.

Grim versa une partie de sa gourde dans sa corne à boire puis en aspergea le feu de bois généreusement pour célébrer la fertilité de la nature. L’hydromel s’enflamma et une douce odeur de miel se répandit dans la chaumière.

–– La bûche de Yule a été allumée du premier coup, c’est bon signe! déclara-t-il. Cette coutume norse annonce le retour du soleil. Aucun doute, le cycle de la vie est de nouveau en marche!

–– Mes chers amis, merci d’avoir perpétué cette tradition au cœur de mon humble demeure, glorifia Cénédrille.

Soudain, Marie-Calina sentit son œuf de dragon s’agiter de façon inhabituelle dans son escarcelle. Inquiète, elle leva les yeux vers son hôtesse qui hocha la tête et la rassura avec un clin d’œil.

La vieille dragonne blanche venait de remercier la dragonnière qui transportait discrètement avec elle un œuf de Dragon blanc.

D’un air entendu, Seyrawyn sourit à son tour, trop heureux de participer à une si belle fête!

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Historiquement, c’est au XIIIe siècle que Noël fut célébré officiellement le 25 décembre, soit quelques jours après le 21 décembre, jour du solstice d’hiver. Le Nolo Hel devint ainsi le Noël fêté par plusieurs religions. Toute l’Europe perpétuait déjà la tradition nordique de la bûche de Yule en offrant une pièce de bois gigantesque aux familles démunies pour l’occasion. Avec la disparition des grands foyers, la tradition se transforma vers les années 1800 en une bûche décorée et placée au centre de la table des Fêtes ou servie comme un gâteau roulé. C’est en 1945 qu’un pâtissier rendit célèbre la bûche de Noël comme on la connaît aujourd’hui. En anglais, on l’appelle encore «Yule Log».

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