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Simon Timbit était, depuis peu, l’héritier de l,Herbier de la famille

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Simon Timbit était, depuis peu, l’héritier de l,Herbier de la famille

Conte de Noël: Le nouveau Sapiens d’Amérique

Publié le 22/12/2017

Brigitte Meloche, auteure et animatrice à L’Atelier d’Esther [http://atelierdesther.com], à Deux-Montagnes, a aimablement, et spontanément, écrit un conte de Noël pour les lecteurs de vos hebdos L'ÉVEIL et LA CONCORDE. Son récit met en scène un très petit personnage du nom Simon Timbit que vous invitons à découvrir. Bonne lecture et... joyeux Noël!

Il était une fois un minuscule personnage qui vivait dans un boisé dans l’Est d’un très beau pays qu’on appelait le Canada. Dans cette forêt à la superficie quoique modeste, vivaient tout de même près de vingt-cinq espèces d’arbres différentes: des bouleaux jaunes, des sapins baumier, de gigantesques merisiers centenaires, des hêtres, des épinettes noires, trois saules pleureurs, des pins blancs et une colonie d’environ cinq cents érables à sucre, pour n’en nommer que quelques-unes.

Ce très petit personnage s’appelait Simon Timbit. Depuis peu, il était l’héritier de l’herbier de la famille. Ce legs lui avait été octroyé par dépit, même s’il possédait de nombreuses connaissances et qu’il avait su démontrer au fil des années un grand savoir-faire. En effet, les secrets de cet herbier sacré se transmettaient de mère en fille depuis des siècles. Cependant, sa mère, la grande fée Aubépine, n’avait pour descendance qu’un fils. De plus, il était plus que minuscule. Alors, les hautes instances du boisé, comprenant l’illustre conseil des hiboux philosophes, ont accepté de le nommer gardien de l’herbier, malgré sa condition de mâle et sa petitesse. «Il faut bien être de son temps», se dirent-ils.

La quête quotidienne de Simon Timbit l’herboriste était d’observer le boisé en chaque saison. Il devait cueillir les plus beaux, les plus inusités et les plus rares spécimens de la forêt. Ensuite, il effectuait des recherches pour les identifier. Il les faisait sécher et puis il les déposait dans ce livre ancien bien précieux. Évidemment, la partie ultime de sa mission était de semer à tout vent ses enseignements savants. Il ne se doutait pas que sa première cohorte d’élèves lui en ferait voir de toutes les couleurs.

En ce jour de septembre de l’an 2017, il partit donc dans la forêt laurentienne avec son panier, ses sécateurs et un fruit mûr bien juteux pour sa collation. Le silence habituel du boisé avait fait place à un tumulte épouvantable. C’était toujours comme cela après les vacances estivales, mais il lui semblait que, cette année, des gémissements se mêlaient aux rires et à l’effervescence générale de la rentrée. Il s’enfonça donc un peu plus dans le sentier et fut témoin d’une scène désolante dans la clairière. Un délicat bouleau rouge, seul représentant de son espèce, recevait moult injures de ses pairs feuillus et conifères.

Non pas des gifles avec leurs feuilles, ou des coups de poing avec leurs branches, ou des poussées avec leurs troncs ou même des crachats avec leurs fruits. Non, pire que tout cela ensemble. Il recevait des propos dévalorisants. Des insultes blessantes s’incrustaient insidieusement dans son duramen que les humains appellent le cœur. Elles s’imprimaient aussi dans son aubier que l’on nomme l’âme chez les cohortes humaines. Les arbres et arbustes de la forêt gravaient, comme s’ils avaient des petits canifs bien affûtés, des mots méchants et tranchants sur la fine écorce de bouleau rouge. Inconscients de tout le mal qu’ils lui faisaient, ils rigolaient et semblaient beaucoup s’amuser.

Bouleau rouge devint encore plus rouge: rouge de peur, rouge de colère, rouge d’humiliation et rouge d’un immense sentiment d’impuissance. Toutes ces émotions bien légitimes semblaient le rendre confus et le paralyser. Il subissait. Il subissait. Il subissait et à voir comment il était courbé, cela ne devait pas être la première fois qu’il était victime de ce traitement si cruel.

Simon Timbit, n’écoutant que son cœur et son sens de la justice, s’élança au secours de bouleau rouge et cria de toute sa hauteur:

– ASSEZ!!!!!!!!!!!!!!!

Pendant quelques secondes, la forêt se figea. Nous n’entendions que le doux chant des mésanges à tête noire.

– De quel droit traitez-vous ce pauvre bouleau ainsi? demanda Simon Timbit.

Personne ne répondait au minuscule professeur qui, malgré sa petitesse, avait beaucoup d’autorité. Effectivement, étant donné qu’il s’en servait peu, il en avait beaucoup lorsqu’il l’utilisait.

– Excusez-nous, monsieur, clamèrent les élèves.

C’est pour rire que nous taquinions bouleau rouge.

– Pour rire? Mais ne voyez-vous donc pas qu’il tremble de toutes ses feuilles? Vous le terrorisez et vous l’intimidez!

Simon Timbit était outré.

– C’est inacceptable de s’attaquer ainsi à quelqu’un. Pourquoi faites-vous cela? Parce qu’il est plus petit que vous?

Parce qu’il est seul? – Parce qu’il est différent?

Parce que vous pensez qu’en écrasant l’autre, la cime de vos feuilles sera plus proche du soleil? Que vous brillerez de mille feux?

Au contraire, pauvres malheureux, vous vous abaissez au niveau du pergélisol.

Le petit professeur de sciences naturelles laissa le silence s’installer quelques minutes, car les sourds murmures parlent plus fort que la foudre. Puis, il conclut solennellement de cette façon:

– Vos excuses devraient s’adresser à bouleau rouge et non à moi. Vous allez devoir trouver une manière de vivre ensemble. Si ce n’est dans l’harmonie, du moins dans l’acceptation et le respect de l’autre.

Simon Timbit reprit calmement son chemin, non sans s’être assuré au préalable que bouleau rouge serait en sécurité et protégé par les hiboux philosophes. Il avisa la classe verte de vingt-cinq espèces de moribonds qui avaient bon duramen malgré tout, qu’il repasserait dans quelques lunes pour faire la lumière sur cet incident bien sombre. Il exigera que réparation soit faite.

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Trois cycles de lunes passèrent et le groupe était de nouveau réuni dans la forêt.

Avant même que Simon Timbit ne prenne la parole, des excuses fusaient de toutes parts. Elles étaient d’ailleurs amplifiées par les longues réflexions, les regrets, par la honte et bien sûr par l’écho.

– Désolé bouleau, dit sincèrement le noisetier. Prends mes plus belles noisettes pour me faire pardonner.

– Je m’excuse bouleau rouge, dit l’érable à son tour. Voici mes feuilles d’érable les plus rouges. Cela sera joli sur toi.

Bouleau rouge rougissait de soulagement et de bien-être. Simon Timbit assistait à cette scène, ému. Il eut une idée lumineuse comme les enseignants sages en ont souvent.

– Pourquoi ne pas utiliser un élément de chacun de vous et ainsi créer ensemble un symbole de paix, de responsabilité citoyenne, d’accueil et de liberté?

– Oui, monsieur! répondirent en cœur les vingt-cinq élèves, enthousiastes devant le projet.

Simon Timbit ouvrit bien grand l’herbier ancien qui était rempli de secrets et de sagesse.

Il prit la plus grande feuille, la lissa et l’étendit dans la clairière sur un paillasson de mousse gelée.

– Voilà. Maintenant, que chacun me remette un petit bout de ce qu’il est.

Un érable de Pennsylvanie lui remit un bout de ses racines.

Un chêne, un gland vert tendre.

Un bouleau blanc, son écorce frisée.

Un merisier, une partie de sa souche.

Un hêtre, une poignée de faînes.

Un vinaigrier, un de ces cônes.

Un thuya, un petit sac contenant son odeur enveloppante.

Une épinette blanche, une boule de gomme.

Un peuplier faux-tremble, quelques feuilles follettes.

Un cerisier d’automne, un bol de ses fruits vermeils.

Bouleau rouge remit aussi une petite partie de ce qui le caractérisait. Tous, sans exception, se mobilisèrent avec empressement pour mettre leur grain de sel dans cet ambitieux travail collectif.

Simon Timbit disposa habilement tous les éléments sur le papier gommé. Tout d’abord, il porta une attention particulière aux racines. Il s’assura qu’elles étaient bien ancrées solidement sous ce tronc commun afin de maintenir en place l’héritage, le patrimoine ancestral de cette belle forêt. Puis, chacun y alla de suggestions plus créatives les unes que les autres. Tous étaient heureux et c’est branche par-dessus branche qu’ils célébraient avec leur petit professeur la naissance d’une nouvelle espèce d’arbre qu’ils baptisèrent de façon consensuelle le Nouveau Sapiens d’Amérique.

Le vent de la forêt manifesta sa présence. Il transportait avec lui une horde de joyeux flocons de neige qui fredonnaient une mélodie amicale et solidaire. Ils soulevèrent délicatement les fruits de cet arbre unique et les disséminèrent sur le berceau de la terre afin qu’il se multiplie à l’infini.